Ce film, au-delà de ses évidentes qualités techniques et
narratives, et de son statut de film culte d’entre les films
cultes, s’est transformé avec le temps, partant d’un
« film contre le système », pour finalement devenir
un combat de son réalisateur contre ce même système. Ainsi,
« Brazil » symbolise à la perfection un cinéma,
non pas élitiste ou enfermé dans un quelconque costume, mais
simplement une expression artistique
vivante, qui cultive ses
différences et n’accepte aucun compromis.
Qui met un pied dans cet univers à hurler de rire et pleurer de
désespoir, n’en ressort pas indemne. Un film hors du temps,
hors de tout qui relève les pires conneries bureaucratiques.
D’après Gilliam lui même, ce film est un croisement entre Capra
et Kafka. Le réalisateur s’est fait plaisir et mêle jeu d’illusions,
parodies féroces, délires ébouriffés et
trouvailles jubilatoires. Prestidigitateur de
l’impossible (tant de prouesses pour 15 millions de dollars),
Terry Gilliam a englouti le « 1984 » d’Orwell (
un des titres de pré-production était : 1984 et demi… ).
Délire superbement orchestré de visions tragi-comiques
où s'estompe la frontière entre cauchemar et réalité.
Au-delà
des références immanquables (Orwell et Kafka),
"Brazil" évoque les univers plastiques de Jérôme Bosch
(monstrueux foisonnement) et de Edvard Munch (inquiétant
dépouillement). Les décors sont monstrueux et la bande
son ahurissante. Montreur d'images, le cinéaste se livre à une
autopsie de l'organisme social.
L’acteur Jonathan Pryce explose
littéralement dans un rôle d’anti-héros refusant de
se plier à cet état concentrationnaire.
Au point de nous faire presque oublier l’apparition furtive de Robert
De Niro en plombier-terroriste.
Mettez le DVD, appuyez juste sur Play et plonger directement
dans un monde au confins de vos angoisses et de vos humeurs paradoxales.
Dans brazil tout est magnifique et écœurant,
ravagé et drôle, sensible et hors de portée,
futile et obsessionnel. Un ange vole librement malgré l’énorme
armure qui pèse sur son dos et une déesse s’abrutit dans un
ballet de camions gigantesques et d’usines enfumées. Le désordre
organisé règne. Paperasse rime avec pagaille et la moindre
mouche écrasée peut changer le destin d’un homme. Dans
cette société inepte (stupide) et inapte à quoi que
ce soit, on ne peut être que POUR le système
(fonctionnaire) ou CONTRE
(terroriste).
Tout individualisme est interdit par la routine aliénante de la
machine bureaucratique.
Comme nombre de ses contemporains, Gilliam ne croit plus
possible de sauver un monde malade en
changeant seulement l'idéologie qui le gouverne. Le
réalisateur propose deux leviers d'une radicale remise en
question de l'ordre des choses : L'HUMOUR
et L'IMAGINAIRE. Sam le
(anti-)héros du film utilise les deux comme moyen d'échapper
à l'enfer du quotidien et d'atteindre, sur les ailes du rêve,
le pays enchanté où coexistent liberté, beauté et amour.
Mais ce voyage est semé d'embûches et après quelques combats
oniriques, Sam sort vainqueur. Il incarne le porteur d'un
fol espoir: la victoire de l'esprit sur la
matière. C'est le message implicite de cette
oeuvre, ancrée au cœur des préoccupations de son temps. Un
message qu'à leur manière des cinéastes visionnaires comme
Gilliam, les frères Joel et Ethan Coen, Emir Kusturica ou Wim
Wenders, délivrent aussi dans des films qui vont à la rencontre de
l'avenir en images qui éveillent les
consciences.
Terry Gilliam souhaitait ne rien s’interdire mais son film
n’est jamais sorti tel quel en salle au États-Unis.
Cette satire surréaliste faisait
tellement peur aux producteurs d’Universal qu’une
seconde version plus courte (2h05 maximum) fût demandée. Universal
envisageait aussi de sous-titrer le film « A State Of Mind »
(« Un état d’esprit » !!!). Le réalisateur concéda
simplement à une fin moins pessimiste.
Finalement la nouvelle version est présentée au festival de Deauville
en 1985 et dans le Variety du 02/10/85 Terry Gilliam écrit ces
quelques mots à l’attention du boss d’Universal : « Dear
Sid Sheinberg, when are you going to release my film, Brazil ? »
(Cher Sid Sheinberg, quand allez-vous libérer mon film, Brazil ?).
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